Droit de mourir dans la dignité : Poursuivre le débat… (20/11/2009)
Franchir une étape de plus vers la légalisation de l'euthanasie : C’était le sens de la proposition de loi que nous avions choisi de défendre lors de la séance d’initiative parlementaire (ou niche parlementaire) de ce jeudi.
La question de la fin de vie a longtemps été traitée en creux par le droit français ; il a fallu attendre la loi Léonetti de 2005 pour marquer une première avancée sur le sujet. Cette loi a permis de légaliser ce qu’il est convenu d’appeler le « laisser mourir », l’euthanasie passive. Elle interdisait l'acharnement thérapeutique et autorisait le soulagement de la douleur au risque d'abréger la vie. Parachevant plusieurs années de travaux et de réflexions sur le sujet, elle avait atteint un point d’équilibre qui lui avait valu d’être alors votée à l’unanimité.
Cinq ans après le vote de cette loi, je suis de ceux qui considèrent que le débat doit être aujourd’hui réouvert. Car à mon sens, la loi Léonetti demeure insuffisante, inaboutie. Le distinguo subtil qu’elle introduisait entre « laisser mourir » et « faire mourir » ne résiste pas à l’épreuve des faits et le développement des soins palliatifs, une autre nécessité, ne répondra jamais aux souffrances de tous les malades.
Le texte que nous avons présenté ce matin vise à autoriser en l’encadrant l'"aide active à mourir" qui, contrairement à l'euthanasie passive, implique un geste actif administrant la mort. Il définit un processus strictement encadré et limité aux personnes majeures, en phase avancée ou terminale d’une maladie grave et incurable, très proche des législations néerlandaise et belge. La proposition de loi est issue de travaux au long cours menés par le groupe socialiste, en lien avec l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) qui soutient le texte.
La question de la fin de vie transcendant les clivages politiques traditionnels, nous espérions pouvoir convaincre la majorité de débattre sur nos propositions. De fait, la discussion générale sur le texte fut véritablement (à l’exception quand même de quelques dérapages) de haut niveau et de qualité. Hélas, le débat a été littéralement pris en otage par la Ministre en fin de matinée, lorsqu’elle a renvoyé le vote du texte à la prochaine séance, dispensant ainsi les députés de la majorité de présence pour la suite de la discussion (examen des articles) et interrompant de fait le débat.
Ceux-ci seront juste appelés à voter, mardi prochain, après les questions d’actualité. Contre, très probablement. Le débat est clos, la méthode toujours aussi inacceptable : Mépris de l’opposition et refus de la majorité de participer à tout débat qu’elle n’aurait pas choisi. La séance s’est achevée dans la confusion. Dépit…
Téléchargez ici la proposition de loi
Téléchargez ici le compte-rendu de la discussion générale sur ce texte
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Commentaires
C'est un projet de loi plein de contradictions dans "l'exposé de ses motifs" qui a failli être défendu devant l'Assemblée Nationale. Et s'il était voté je pense qu'il serait dramatique dans ses effets et irresponsable sur le fond.
Rappelons brièvement que lorsque l'on demande à nos concitoyens quels sont leurs souhaits pour leur fin de vie ils répondent majoritairement :
Ne pas souffrir, ne pas subir d'acharnement thérapeutique, ne pas être abandonné.
Et c'est exactement ce que propose la législation actuelle sur la fin de vie (loi du 22 avril 2005, dite Loi Léonetti) qui fait des soins palliatifs un droit.
Alors certains diront qu'ils ont connu des cas où ces trois souhaits n'étaient pas respectés. C'est tout à fait possible mais alors c'est parce que les moyens n'étaient pas suffisants pour appliquer la loi, ou que le personnel de soins était mal formé ou (comme beaucoup d'entre nous) qu'il était mal informé.
D'autres diront qu'il y a aussi les rares cas (5% des douleurs environ) où la médecine, même spécialisée, n'arrive pas à soulager suffisamment. Ceci est vrai, le médecin peut alors utiliser la sédation (coma artificiel réversible) car il arrive que des douleurs intolérables soient passagères et gérables par la suite normalement.
Et bien, malgré ces réponses positives que propose la législation actuelle, les députés socialistes semblent vouloir à tout prix introduire, l'offre d'euthanasie appelée pudiquement "aide active à mourir".
Leur parle-t-on des douleurs rebelles (les 5 % des cas) ils répondent "mais si le patient refuse la sédation?". Etrange raisonnement et projet de vie que de remplacer un "endormissement provisoire" par une "nuit éternelle".
Cette loi, pour justifier cette "aide active à mourir", s'appuie toujours sur la notion de "dignité" du patient. Un concept très subjectif et sur lequel il y aurait aussi beaucoup à dire. Je connais des patients avec un handicap léger mais qui disent ne pas vouloir le supporter, et d'autres beaucoup plus lourdement handicapés et qui ne demandent qu'à vivre. La notion de dignité vue sous cette angle est avant tout du domaine de la subjectivité. Peut-on alors, prendre la responsabilité de construire une loi sur du subjectif ?
Relisant ce projet de loi je pourrais presque le résumer d'une phrase "Oui la loi actuelle et les soins palliatifs sont très bien, mais laissons toujours au patient la possibilité de choisir l'euthanasie".
En fait ce que je trouve pervers dans ce projet c'est le sort qu'il risque de réserver aux personnes âgées, notamment en maison de retraite. Et si cette situation m'apparaît aussi clairement dangereuse, c'est que j'accompagne depuis bientôt dix ans ces personnes en établissements, comme d'ailleurs des centaines d'autres bénévoles. Nous sommes donc en première ligne pour écouter ce que beaucoup nous disent et ressentent à la fin de leur vie.
Rappelons, s'il en était besoin, que nous vivons dans une société où les mots de consommation, de compétition, de rentabilité, d'inégalité, de jeunisme, d'argent roi sont la règle et qu'ils nous tiennent presque lieu de "valeur" de civilisation.
Or les personnes âgées, notamment celles en fin de vie en institution, sont tout le contraire de ce catalogue de valeurs. Elles ont donc bien du souci à se faire, et elles s'en font beaucoup!
Alors, que nous disent-elles à un moment ou à un autre sur leur devenir : "je suis une charge pour ma famille (ou pour la société)", "Ce serait mieux si je n'étais plus là!". Et il ne faudra pas grand-chose comme attitude ou paroles (parfois inconsciemment) de la part des familles pour que la personne fragilisée soit amenée à se dire : "bon, qu'on en finisse ne serait-ce que pour soulager financièrement ma famille".
Or les bénévoles qui les accompagnent le savent bien : ce n'est pas leur souhait profond que d'être reconnu comme une charge et voir leur vie abrégée si brutalement, ce n'est pas ce qu'elles avaient imaginées pour leur fin de vie.
Bon, je le sais bien aussi, ce projet de loi définit tout un protocole avant de décider du geste fatal. Le médecin devra demander plusieurs fois l'intention du patient, demande confirmée par d'autres collègues, et il faudra constater que les paroles de ce patient "ont un caractère libre, éclairé et réfléchi ".
Mais ne nous y trompons pas, cette personne âgée qui aura vu ses économies fondre comme neige au soleil et dont la famille sera peut-être économiquement à la dérive, va vous répéter vingt fois s'il le faut, et de façon apparemment "libre, éclairée et réfléchie" qu'elle veut la "piqûre libératrice". Mais où sera vraiment sa liberté alors que cette demande aura été lentement conditionnée par les "valeurs" de notre société?
Et voilà comment on risque de générer un nombre considérable de "volontaires" pour l'euthanasie.
Après des millénaires de civilisation, est-ce cela que nous souhaitons et appelons le progrès?
En tant qu'électeur de gauche je vous incite, messieurs les députés socialistes, à bien réfléchir avant d'user de votre pouvoir d'ouvrir cette boîte de pandore.
Jacques Gelé
Lecteur de Ste Luce / Loire
Écrit par : Jacques Gelé | 28/11/2009
La fin de vie, la maladie et la mort sont autant de questions très personnelles que nous sommes chacun tentés d’aborder à travers un vécu, une ou plusieurs expériences. Il n’est pas de point de vue unique et meilleur que les autres en la matière, et en cela, il est essentiel que le problème soit posé en termes apaisés et dans un climat serein. Aussi, je vous remercie sincèrement de votre contribution. Je précise d’ailleurs que sur ce texte, le groupe socialiste n’a pas donné de consigne de vote et a laissé certains collègues exprimer une position différente de celle affirmée par la proposition de loi. Le fait que le sujet transcende également très largement le clivage gauche/droite rend d’autant plus dommageable l’attitude du Gouvernement (refus du débat par imposition d’un vote bloqué).
Pour ma part, la législation actuelle – la loi Léonetti – m’apparaît inaboutie, car ne pouvant répondre aux cas, heureusement rares, où la douleur reste rebelle à la sédation ; ou à ceux, plus fréquents, où les malades refusent d’être sédatés. Dans ces cas, les médecins et personnels soignants sont laissés seuls face à leur conscience et à la détresse des patients et de leur famille. C’est pour moi une vraie question. La notion de « dignité » humaine m’apparaît par ailleurs très liée à celle de qualité de vie. Et aussi subjective soit cette notion, il me semble que chacun devrait pouvoir être laissé libre de l’apprécier pour lui-même. Ce texte était en cela, et toujours à mon sens, un texte de liberté, visant à instaurer le droit de choisir sa mort, en l’encadrant très strictement (c’était le cas) afin d’éviter toute dérive.
Enfin, les questions soulevées sur la confrontation « liberté/conditionnement » au sujet des personnes âgées en maison de retraite relèvent plus à mon sens du grand débat sur la dépendance que nous appelons de nos vœux et que l’actuelle majorité nous annonce désormais depuis un bon moment. J’espère avoir l’occasion de m’exprimer prochainement sur ce sujet.
Écrit par : Michel MENARD | 01/12/2009
Par courriel du 4 décembre 2009, j'avais réagi à votre prise de position sur le débat concernant l'euthanasie. Ne voyant pas mon commentaire figurer dans votre blog, j'ai pensé que vous ne l'aviez peut-être pas reçu. Aussi je me permets de vous le réexpédier en suivant la procédure indiquée, mais qui ne me permettait pas de joindre les deux textes (dont le mien) publiés dans le journal "Le Monde" interactif. Je profite de cet envoi pour lui ajouter un Post-scriptum qui ne figurait pas dans ma précédente lettre.
Cher Monsieur,
Je fais partie de vos électeurs et je reçois votre lettre d’information. Permettez-moi de vous dire mon complet désaccord avec votre position dans le débat sur la légalisation de l’euthanasie. La PPL que vous avez cru devoir signer témoigne à mes yeux d’un manque d’information et de confusions graves, par exemple dans l’usage visiblement très mal maîtrisé du concept d’euthanasie passive, sans parler du reste du raisonnement. L’un de mes amis de la région parisienne, militant et conseiller municipal PS de longue date, vient d’envoyer à son réseau la lettre suivante dont je vous cite un extrait :
« Je regrette que, manquant de toute analyse sociale, économique et politique sérieuse, le PS se raccroche aux idées « à la mode » sur l'euthanasie. La droite, au Parlement, a usé d'artifices de procédure pour éviter la discussion de la proposition socialiste. Franchement, pour une fois, j'en suis content. Une position courageuse, et non payante électoralement. »
C’est la droite qui a refusé l’électoralisme facile, un comble !
Je me permets de vous envoyer en pièce jointe un texte que j’ai rédigé avec la responsable des soins palliatifs de la Seine-Saint-Denis, et que votre collègue Gaëtan Gorce, avait accepté de placer en commentaires sur son blog à la fin de l’année 2008 et intitulé : « L’euthanasie est-elle de gauche ? ». C’est une version allégée de ce texte que Le Monde interactif a publiée dans son édition du 16 novembre et que je vous joins également. Enfin au risque d’alourdir cet envoi, je vous fais part d’un autre texte publié aussi dans Le Monde interactif du 26 novembre, signé par le Dr Renée Sébag-Lanoë, une autorité respectée en France.
Connaissant bien la problématique de la fin de vie et ayant été auditionné par la mission Leonetti, je me tiens à votre disposition pour vous aider à vous faire une opinion réellement de gauche sur ce sujet où de nombreux parlementaires communistes (dont je ne partage pas la culture) ont fait preuve d’un esprit de responsabilité et d’une compétence qu’on est déçu de ne pas trouver au PS sur un sujet aussi délicat.
Croyez, cher Monsieur, à l’expression de mes salutations les meilleures.
Jacques Ricot
PS Non seulement la notion d’euthanasie passive est incohérente mais l’usage que vous faites de la notion de dignité est en complète contradiction avec le concept tel qu’il figure dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. De plus, en indiquant le lien du PS à l’ADMD, vous faites preuve d’une partialité étonnante : connaissez-vous, dans le détail, les arguments rationnels que les bénévoles d’accompagnement et la Société française d’accompagnement des soins palliatifs opposent à cette association dont les méthodes et le lobbying mériteraient un examen circonspect ? On est étonné de constater que les associations et les personnalités qui ont des positions différentes de celles de l’ADMD n’aient pas été auditionnées quand on regarde la maigre liste des trois personnes mentionnées à la fin du rapport de Manuel Valls.
Écrit par : RICOT Jacques | 28/12/2009